Suite du post Loi sur le CO2 : turbulences en vue !
En préambule à ce post, jetons un rapide coup d’œil sur la campagne qui a démarré sur les chapeaux de roue. Comme le post précédent le présentait, nous avons eu droit à un communiqué de presse d’un comité de campagne formellement aux couleurs de l’UDC, mais dont franchement il ne semble pas déraisonnable de penser qu’il a été dicté par des cadres de l’Union Pétrolière Suisse / SwissOil / Avenergy. Je vous laisse juger sur la base de la copie d’écran ci-dessous (partielle) :
Nous avons eu aussi droit à une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux, par exemple lors de la promotion d’un lien FB sur l’article précédent par un ami, Alain Farrugia, dont la plupart ne font répéter le message d’une manière outrancière. On a vu aussi lors de l’émission Infrarouge du 14 avril sur la RTS le secrétaire de l’UDC Vaud instiller ce même discours d’une façon particulièrement retorse “si si nous voulons aussi sauver la planète, mais pas comme ça“. C’est précisément ce discours qui a jusqu’à présent réussi à tromper la population, car mis à part le “pas comme ça” aucune proposition suffisante n’est jamais venue.
Retournons à notre sujet du jour, les enjeux géostratégiques liés à cette fameuse loi CO2
Sans mauvais jeu de mot, l’énergie, surtout l’énergie bon marché, est le moteur de l’économie. Un nombre incalculable de guerres puisent leurs causes justement dans le besoin de contrôler les ressources énergétiques. L’inextricable situation du Proche-Orient s’exhibe devant nos yeux jour après jour avec ses tombereaux de noirceurs et drames humains pour le rappeler à ceux qui voudraient l’oublier.
Tout naturellement, les opposants à la loi CO2 brandissent dès lors les pertes d’emploi pour justifier leur volonté de statu quo.
Il vaut la peine de se plonger dans la logique économique des énergies fossiles pour réellement comprendre où se cachent les risques.
Il existe une réflexion sur les limites du parallélisme en économie “Si une femme fait un bébé en 9 mois, 9 femmes ne font pas un bébé en un mois”, qui trouve une application dans le domaine de l’énergie avec une très large portée :
Soit 8 puits de pétroles produisant du pétrole à un prix de revient de 30$ et un puit produisant à 60$, si la consommation est égale ou inférieure à la production des 8 puits, le pétrole se vendra à 30$+une marge, si la consommation est égale ou inférieure aux 8+1 puits, tout le pétrole se vendra à 60$+une marge, si la consommation devrait dépasser la production totale des 8+1 puits alors le prix du pétrole n’aura plus de limite vers le haut.
Ce premier élément nous offre un bon début d’explication de la volatilité des prix du pétrole :
Mais cela ne suffit clairement pas. En effet, avec une volatilité pareille devenir riche devrait être d’une facilité déconcertante : il suffit d’acheter sur les zones basses, garder, et vendre sur les périodes hautes. Oui, mais voilà garder signifie ici stocker et stocker une matière aussi dangereuse que le pétrole coûte, et coûte même beaucoup.
On peut comparer le pétrole aux yoghurts pour les supermarchés dont les lots de production perdent de la valeur en fonction de l’approche de la date de péremption. Ceci explique d’ailleurs pourquoi nous avons vu récemment des prix négatifs pour le pétrole.
La conjonction de ces deux caractéristiques essentielles explique la situation que nous connaissons au Proche-Orient et dans une majorité des pays producteurs de pétrole : des dictatures épouvantables, et d’autant plus épouvantables que le dit pétrole représente une part importante des richesses produites dans le pays, le tout arrosé d’une copieuse ration d’ingérence voir carrément de prise de contrôle totale occulte, car nos économies, un peu comme des patients devenus accrocs à la morphine, se vautrent dangereusement dans une dépendance aux énergies fossiles mortifère.
La volonté de contrôle sur la durée pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en premier lieu, mais aussi des rentes de situation pour certains, pousse à toutes les compromissions et autres jeux troubles. Le conflit syrien pourrait bien puiser sa vraie source dans le refus de Bachar d’avoir laissé transiter un gazoduc à travers son pays.
A ce sujet, je vous suggère de prendre quelque minutes pour visionner l’excellente vidéo réalisée par un mathématicien anglais et youtubeur CGP Grey “The rules for rulers”, vous y verrez pourquoi vous pouvez abandonner ces idées romantiques de population se soulevant pour chasser le tyran. Quelqu’un se cachait au commande et il faut juste se demander à qui cela profite (le fait que Bachar soit un abject dictateur ne change rien à l’affaire).
Dépendre des énergies fossiles correspond donc à dépendre de l’étranger. Si vous êtes un grand pays avec une influence internationale réelle et des services spéciaux à la hauteur, vous pouvez peut-être vous le permettre, même si j’en reste persuadé, à long terme vous finirez par le payer un jour. Toutefois, un petit pays, qui souhaite de surcroît se comporter de manière conforme au droit, se met en situation de dépendance élevée face à des pays voyous, qu’ils en portent le titre ou non.
Instaurer une taxe CO2 visant à infléchir notre consommation de carburants fossiles contribue donc directement à protéger notre indépendance nationale.
En politique étrangère, on rappelle souvent que nous n’avons pas d’amis uniquement des intérêts. Si ceux-ci convergent, tout va bien. Dans le cas contraire, un petit pays doit se faire du souci.
Il semble utile de rappeler que le contrat-cadre avec l’UE donne une fâcheuse impression de bébé mort-né. L’UE pourrait s’énerver quelque peu, pas beaucoup juste un peu, mais de manière à mettre une pression telle que nous devrons céder sur un point ou l’autre.
Au final, je n’aimerais pas jouer les Cassandres, mais nous rendre indépendant des énergies fossiles protège aussi notre système politique et donc notre démocratie directe.
Pour le prochain article, nous passerons en revue les points essentiels de la question environnementale.
Laurent-David Jospin