Avec ce post nous terminons notre voyage ayant comme fil rouge l’équation de Kaya.
Vous trouvez l’introduction ici :Une équation prédit l’enfer sur terre, voulez-vous jeter un coup d’oeil? (série à suivre)
La présentation générale de l’équation et sa justification :Une équation prédit l’enfer sur terre, mais que dit-elle au juste?
Le décryptage réalisé par un “climato-convaincu” : une équation prédit l’enfer sur terre? Comment changer?
Et enfin l’analyse à destination du “climato-sceptique” : Une équation prédit l’enfer sur terre? Et si le réchauffement climatique n’existait pas?
Il convient d’être humble même si l’ensemble de ces 4 posts + ce dernier arrive à un total de 8000 mots, cette analyse reste à un niveau global d’ensemble et non de détails. L’équation de Kaya a été la source d’un nombre plus que conséquent de publications. Pour ceux qui le souhaitent, il est possible d’approfondir la réflexion à volonté. Une seule chose demeure, la tendance générale que j’ai essayé de vous transmettre le plus fidèlement possible se confirme dans toutes les analyses!
Cette remarque liminaire posée, rappelons-nous ce que conclut le “climato-convaincu” de l’équation de Kaya. Si nous souhaitons réellement éviter une catastrophe climatique de grande ampleur, dont les conséquences ne seront vraisemblablement pas supportables au sens premier du terme, nous devons organiser un transfert de notre mode de consommation énergétique vers le tout renouvelable à marche forcée pour avoir une économie quasiment décarbonnée aux alentours de 2050.
Le “climato-sceptique” découvre lui avec un faux étonnement que les stocks d’énergie non renouvelable sont par définition finis et qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, être en mesure de s’en passer, l’expression “être en mesure” prenant ici un sens particulièrement aigu si l’on souhaite éviter une régression majeure de notre civilisation.
Le naïf écoutant les points de vue de l’un et l’autre ne comprend dès lors pas pourquoi le “climato-sceptique”, tout en gardant sa conviction erronée, personne n’est parfait que diable, n’accepte pas la transition énergétique proposée par le “climato-convaincu”. Car même si elle n’est pas nécessaire climatiquement parlant, elle permet d’éviter le risque de récession économique gigantesque découlant d’un tarissement progressif des sources d’énergies fossiles.
Nous touchons ici au nœud crucial de toute la problématique. Aujourd’hui, lorsque nous consommons de l’énergie fossile ne nous payons pas les coûts induits (pollution, réchauffement, destruction des milieux naturels, …) et indubitablement le fait de disposer abondamment d’une énergie, que l’on pourrait quasiment assimiler à de l’énergie gratuite au vu du rapport entre prix payé et coût effectif, représente le meilleur stimulant de l’économie que l’on puisse imaginer. Vous pouvez toujours essayer de faire tourner la planche à billets, si la population ne dispose pas de plus d’énergie, elle ne peut pas consommer plus!
Il existe plusieurs espèces de “climato-sceptiques”. Point de catalogage ici, celui qui nous intéresse ici affirme haut et fort l’impossibilité de réaliser la transition énergétique, car il ne manque pas de mettre en avant toutes les difficultés, notamment économiques, que nous rencontrerons si subitement nous devons payer le vrai prix de l’énergie.
L’argument massue est toujours le même : si nos entreprises doivent payer leur énergie x fois plus cher, elles perdront toute compétitivité et il en découlera de graves problèmes économiques.
On peut ici rappeler sur la croisée des courbes entre le fossile et les renouvelables. Durant les années 1990 à 2002, le baril de pétrole coûtait environ 22 US$ en prix moyen. Comme un baril permet de générer environ 800 kWh d’électricité (énergie primaire * efficience proche de 50%), le kWh électrique généré depuis une centrale au fioul possédait un coût “matière” d’environ 3 cts. Comme il faut exploiter, entretenir et amortir la centrale elle-même, il ne semble pas déraisonnable d’annoncer un prix total de l’époque par kWh d’environ 8 cts. A cette époque, un kWh d’origine solaire coûtait au-delà de CHF 1.–! Aujourd’hui en 2013/2014, le baril de pétrole coûte globalement 100 US$, poussant dès lors le coût total du kWh sur base fioul à plus de 15 cts. Allant en sens contraire, l’évolution du solaire permet aujourd’hui de générer des kWh à moins de 20 cts!
Certaines prévisions pour l’horizon 2025 laissent penser que le baril de pétrole devrait se situer vers les 250 US$ (Reuters) conduisant à un coût du kWh comme ci-dessus vers les 35 cts, alors que dans le même temps on espère une baisse du solaire conduisant le kWh solaire vers les 10 cts. Il est exact que d’autres prévisions sont moins pessimistes comme par exemple celle de l’AIE qui envisage un baril à 128 US$ pour la même période. Cette différence de prévision est logique, car les pronostiqueurs sont tout sauf neutres. On le voit de la manière la plus évidente en étudiant les prévisions de l’OPEP elle-même qui ont toujours été dépassées. Au final, cela importe peu car quels que soient les scénarios retenus, la baisse des renouvelables conduit à ce qu’ils deviennent les plus compétitifs dans tous les cas à brève échéance.
L’élément le plus fort et le moins manipulable reste simplement la différence entre la demande et l’offre. En 2035, les prévisions les plus basses annoncent une demande à hauteur de 100 millions de barils par jour. La production escomptée se situe vers les 65 millions de barils par jour. Aujourd’hui, la configuration serait plutôt demande 90 millions contre production 80-85 millions. Le gap qui va donc au minimum être multiplié par 4, ne peut que conduire à une explosion des prix selon la loi de l’offre et la demande.
Dès lors il apparaît clairement que de ne pas réaliser la transition énergétique n’est pas une économie mais un report de charge avec intérêts en sus cela va de soit.
Plus tardivement nous nous attaquerons à ce problème, plus cher cela coûtera. Comprenez-moi bien, plus cher cela coûtera en terme économique bien sûr, mais aussi plus cher cela coûtera en terme de souffrance et de vies humaines. La vraie conclusion de l’équation de Kaya est ici : repousser la transition énergétique ne fait qu’augmenter son coût, et si l’on attend trop les conséquences dépasseront notre capacité de “payement” avec au final un possible effondrement de notre civilisation telle que nous la connaissons.
Et ici il ne s’agit pas de politique mais d’une simple conséquence mathématiquement et froidement inéluctable!
Laurent-David JOSPIN
Sources :
Agence Internationale de l’Energie, “World Energy Outlook 2013”
ainsi que celles des posts précédent traitant de l’équation de Kaya